La ballade de l'escargot d'or
Un soir, dans la campagne, passait devant les pécores,
Sur sa cuirasse d’or le soleil mirait l’or
Des derniers flamboiements d’une soirée ardente,
Et doublait du héros la splendeur flamboyante !
Il n’était qu’or partout, de la bave au fanion,
L’or des cuissards froissait l’or des caparaçons,
Des rubis grenadins faisaient feu sur son casque,
Mais ses yeux en faisaient plus encore sous son masque...
Superbe, et de loisir, il allait sans pareil,
Et n’en ayant rien à battre, il battait le soleil !
Et les bergers, penchés aux rampes des montagnes,
Se le montraient flambant, au loin, dans les campagnes,
Comme une tour de feu, ce grand escargot d’or,
Et disaient : C’est Gabriel ou bien le météore,
Confondant tous les deux dans une même gloire,
L’un, pour mieux l’admirer, l’autre, pour mieux y croire.
Or, comme il passait là, magnifique et puissant,
Et calme, et grave, et lent, le radieux passant
Entendit dans le creux d’un ravin solitaire
Une voix qui semblait, triste, sortir de terre !
Et c’était, étendu sur le sol, un lépreux,
Une immondice humaine, un monstre, une karo, un être affreux
Dont l’aspect fit lever tout droit, dans la poussière,
Les deux pieds des badauds se dressant en arrière,
Comme s’ils eurent compris que les peaux de leurs pieds,
S’ils touchaient à cet être, en resteraient souillés,
Et qu’il ne pourrait plus en essuyer la fange !
Cependant le héros, dans sa splendeur d’archange,
Inclinant son panache éclatant, aperçut
Ce hideux malandrin, sale et vil, le rebut
Du monde, – il lui tendit noblement son aumône,
Du haut de sa gloire, comme d’un trône,
À ce lépreux impur, contagieux, maudit,
Qui la lui demandait au nom de Shepy la Brebis !
C’est alors qu’on pût voir une chose touchante :
Allongeant vers l'escargot sa main purulente,
Le lépreux accroupi se mit sur ses genoux,
Surpris – le repoussé! – de voir un escargot doux
Ne pas montrer l’horreur qu’inspirait sa présence,
Et ne pas l’écarter du bois dur de sa lance ;
Et touché dans le cœur de voir cette pitié,
Il osa, lui, le vil, l’affreux, l'humilié,
Dans un de ces élans plus forts que la nature,
A l'armure dorée, coller sa bouche impure.
Le malheureux savait qu’il pouvait appuyer, lui l'anormal,
Sans lui donner son mal, sur le brillant métal,
Le mouiller de sa lèvre, y traîner son haleine.
Lui qui n’avait jamais baisé de main humaine
Et qui donnait la mort d’un seul attouchement,
Vautra son front dartreux sur cet escargot, ce géant.
Et l'autre le laissa très tranquillement faire,
Sans dédain, sans dégoût, sans haine, sans colère,
Immobile, il restait le grand Escargot d'or !
Que pouvait-il penser sous l'apparence du fort,
De son casque en rubis, quand il vit cette audace ?
Quel sentiment passa sous l’or de sa cuirasse ?
Mais il fixa longtemps le lépreux, – puis soudain,
Il tendit le cou et lui bava sur la main.